Depuis la complétion du projet sur le génome humain en 2003, projet qui a permis de comprendre la structure du génome, les technologies de séquençage des gènes sont devenues plus performantes et moins coûteuses. Il est donc devenu plus facile d’explorer le génome d’un individu et d’identifier des gènes ou des séquences responsables de certaines maladies. Les chercheurs se sont également intéressés au cours des dernières années aux relations complexes entre les gènes humains et l’environnement.
Ils ont donc porté leur attention sur les gènes pouvant accroître la prédisposition à certaines maladies et, en contrepartie, les conditions environnementales et comportementales qui pourraient empêcher de telles prédispositions de s’exprimer.
Dans la foulée de ces développements scientifiques et technologiques, les sociétés occidentales ont assisté au développement d’un marché des tests génétiques, incluant des tests en vente libre. Il existerait aujourd’hui plus de 30 000 tests génétiques. Pour quelques centaines de dollars, des compagnies
privées offrent des tests qui permettent de brosser un portrait des risques de développer certaines maladies et d’informer les consommateurs sur leur hérédité. Certaines compagnies vont au-delà de l’hérédité et des prédispositions aux maladies et interprètent les diverses potentialités (par exemple, les aptitudes sportives) d’une personne à partir d’une analyse de sa génétique. Pour certains analystes, dont Timothy Caulfield, lauréat 2013 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau, ces développements reflètent « l’accent massif » qu’a mis la société sur la génétique depuis les vingt dernières années.
D’autres chercheurs abondent dans le même sens et se montrent critiques face à la tendance contemporaine à la « généticisation », soit la tendance à mettre l’accent sur les déterminants génétiques de la santé ou de ce nous sommes comme individus, au détriment des facteurs sociaux, économiques et environnementaux qui affectent la condition humaine6. C’est dans une perspective semblable que la professeure Kim Tallbear, lauréate 2018 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau, a livré une analyse
critique du concept « d’ADN autochtone » utilisé dans l’étude de la génétique des populations humaines et dans l’industrie des tests génétiques d’ascendance. À l’encontre d’une conception biologique Technologie et éthique de l’identité autochtone et de l’idée que celle-ci peut être « prouvée » par un test génétique, elle a montré que la constitution de cette identité est beaucoup plus complexe et implique des facteurs sociaux.
Par ailleurs, l’un des enjeux éthiques majeurs que posent les tests génétiques – et la collecte d’informations génétiques en général- a trait à la confidentialité des informations recueillies. Selon l’Observatoire de la discrimination génétique, « la qualité et la portée des politiques de confidentialité et des fonctionnalités assurant la sécurité des bases de données génétiques des entreprises privées de [tests génétiques en vente libre] sont très variables et les consommateurs ne sont pas toujours informés des restrictions applicables ». Il peut être très difficile d’avoir un minimum de contrôle sur ses données et la façon dont elles seront utilisées. Et si des données génétiques personnelles sont communiquées à des tierces parties, comme des compagnies d’assurance ou des employeurs par exemple, ces tiers sont susceptibles de traiter différemment les individus concernés sur la base de caractéristiques génétiques. Le scénario le plus souvent évoqué à cet égard est celui où un assureur utiliserait le profil génétique d’un individu pour déterminer son assurabilité11. Comment et dans quelle mesure peut-on prévenir les risques de discrimination génétique, soit le fait de « nier des droits, des privilèges ou des opportunités sur la base d’informations tirées de tests génétiques »? Les réglementations en place sont-elles suffisantes?
Au Canada, la Loi visant à interdire et à prévenir la discrimination génétique est entrée en vigueur en mai 2017. Cette loi interdit notamment le fait d’obliger une personne à subir un test génétique ou à en communiquer les résultats comme condition préalable à la fourniture de biens et de services. Elle modifie également la Loi canadienne sur les droits de la personne afin d’interdire la discrimination fondée sur les caractéristiques génétiques d’une personne. En décembre 2018, la Cour d’appel du Québec a toutefois jugé cette loi invalide au motif qu’elle ne relève pas d’un champ de compétence fédérale.
La Coalition canadienne pour l’équité génétique a porté cette décision en appel devant la Cour suprême, qui se prononcera sur l’affaire au cours des prochains mois. Des enjeux importants sont également soulevés par les développements récents en matière de tests génétiques prénataux.
Depuis 2011, un nouveau test prénatal non invasif (TPNI) est proposé aux femmes enceintes durant le premier trimestre de grossesse afin de dépister le syndrome de Down. Consistant en une simple prise de sang maternel, il s’agit d’une technique plus fiable, plus sécuritaire pour le foetus, et qui peut être utilisée plus tôt durant la grossesse que la méthode utilisée auparavant pour ce type de dépistage génétique. Selon certains spécialistes, ces caractéristiques, conjuguées aux intérêts commerciaux en faveur de la routinisation du TPNI, risquent d’accentuer la pression sur les femmes, qui se retrouvent avec le fardeau moral de décider si oui ou non elles acceptent d’effectuer ce test, sans pour autant être bien informées par le personnel médical face à cette décision.
Qui plus est, le nombre de conditions que peut dépister le TPNI augmente progressivement, de sorte qu’il devrait bientôt pouvoir offrir un large éventail d’informations génétiques sur le foetus. Il y a lieu de se questionner à savoir si la possibilité d’obtenir une quantité accrue d’informations génétiques sur un foetus est un développement positif des points de vue individuel et sociétal. Dans quelle mesure préserve-t-on le droit des femmes enceintes de ne pas être informées de la probabilité que leur foetus présente des conditions génétiques atypiques? À l’échelle sociétale, le dépistage génétique prénatal n’encourage-t-il pas l’eugénisme? Pour certains analystes, les tests génétiques, ainsi que la « compréhension génétique de la santé » qu’ils façonnent, reflètent l’accent que met notre société sur la responsabilité individuelle et la productivité. Pour reprendre les mots de Roxanne Mykitiuk, « avec les tests génétiques, les individus sont appelés à s’autosurveiller afin de réduire le fardeau de la maladie pour eux-mêmes et pour la société dans son ensemble » et maintenir, ce faisant, un « ordre discipliné de citoyens productifs ».